Jeanne et le garçon formidable, 20 ans après
A quoi ça sert de revoir un film ? A la même chose que de réécouter une chanson, revoir une peinture, relire un livre, ré-admirer un paysage : cela sert à vivre de nouvelles émotions et à regarder une œuvre connue sous un angle méconnu. Je pourrais vous raconter avec quel plaisir je revois les vieux James Bond – alors que je sais que l’agent secret ne va pas mourir et tuer le méchant – ou Titanic – alors que je sais que le héros ne va pas monter sur le radeau même s’il y a assez de place ! – mais je vais plutôt vous parler de Jeanne et le garçon formidable.
Cette comédie musicale, réalisée par Olivier Ducastel et Jacques Martineau, avec Virginie Ledoyen et Mathieu Demy, a été projetée récemment à Lyon, à l’institut Lumière, en ouverture de l’excellent festival de cinéma LGBT Ecrans Mixtes. C’est à cette occasion que j’ai revu ce film.
On passera très vite sur le fait que j’ai pris un bon coup de vieux. Le long-métrage est sorti exactement en 1998, l’année où la France a remporté la Coupe du monde de football, où la place de cinéma coûtait en moyenne 42 francs, où les 35 heures ont débarqué en France, où Manau chantait « dans la vallée woh oh de Dana la li lala ». Si vous avez mon âge ou plus, vous êtes normalement en train de vérifier l’info sur Wikipédia en tentant de vous rassurer « non mais il a craqué, ce n’est pas aussi vieux. » Et si vous êtes plus jeune, et que Jeanne et le garçon formidable ne vous dit rien, là normalement vous allez quitter cette page en souriant « Oh le truc de ieuv ! Là c’est vraiment l’âge de pierre, genre le cinéma muet quoi ! ».
Revoir un film, c’est d’abord se rafraîchir la mémoire. Il y a ce petit plaisir, à chaque changement de plan, de voir si j’arrive à me souvenir de la scène. La chanson des hommes de ménage en salopette orange m’était totalement sortie de l’esprit, en revanche la rencontre entre Jeanne et Olivier dans le métro est bien remontée à la surface de mon cortex. Autre jeu : reconnaître les comédiens qui sont devenus célèbres depuis. Par exemple, je ne me souvenais pas que la sœur de Jeanne était interprétée par Valérie Bonneton. L’actrice à la voix railleuse si distinctive a laissé depuis les films intellos pour les comédies populaires et les séries TV à succès.
Revoir un film, c’est aussi ressentir de nouvelles émotions. Jeanne et le garçon formidable est un film qui traite du SIDA, un sujet très difficile. En 1998, c’était la fin dramatique et émouvante qui m’avait particulièrement marqué. Aujourd’hui, 20 ans après, en revoyant ce film je n’ai pas eu la même réaction. J’ai mûri, je me suis documenté sur le sujet, je sais que l’espérance de vie des malades s’est rallongée… et j’ai posé sur ce film un regard plus léger. N’hésitant pas à rire de ce côté un peu suranné de la comédie musicale où les comédiens se lancent des « Passe-moi le sel ! » en chantant et en dansant. Même les réalisateurs, invités par le festival Ecrans Mixtes pour échanger avec les spectateurs, ont reconnu que leur film apparaissait étrangement beaucoup plus joyeux aujourd’hui qu’à l’époque de sa création.
Revoir un film, c’est parfois découvrir de nouvelles significations et symboliques. On savait que Jeanne et le garçon formidable était un hommage à Jacques Demy, sur la forme. Les réalisateurs ont eu l’ambition de célébrer l’art de la comédie musicale à la française. Jeanne est une petite-fille éloignée des demoiselles de Rochefort. On se rend compte aujourd’hui que le film est également un hommage à Demy, sur le fond. Agnès Varda a révélé en 2008 que le réalisateur, son ex-mari, n’était pas mort d’un cancer comme cela avait été dit à l’époque, mais du SIDA. Voir son propre fils, Mathieu Demy, interpréter un personnage qui meurt du même mal, prend aujourd’hui un sens d’autant plus fort. Et cette lecture-là n’aurait pas été possible en 1998, lors du premier visionnage.
Enfin, revoir un film, on ne va pas se le cacher, c’est aussi l’occasion de faire un peu sa langue de p*** (pour ceux qui n’auraient pas compris, il faut ajouter « u·t·e » à la place des *, mais avec « o·r·c » ça fonctionne aussi). Les acteurs et les actrices ont forcément pris un coup de vieux, et ça nous amuse toujours un peu. Parce que bien sûr, moi qui n’ai jamais eu le talent et la chance de faire du cinéma, je ne peux pas me voir sur grand écran. Cela m’évite de pleurer sur mes propres rides. Et c’est tellement facile et gratuit de pointer une égérie L’Oréal en se disant : « finalement, les crèmes anti-rides qu’on nous vante à la télé, ça ne marche pas si bien que ça ! ». Je m’excuse auprès de Virginie Ledoyen pour ces quelques mots, c’est de la vanne ! D’autant plus qu’elle a livré un témoignage passionnant et éclairant sur Jeanne, à l’issue de la projection du festival Ecrans Mixtes.
C’est donc pour toutes ces raisons que je continuerai de revoir des films, sur ma tablette, sur ma TV, sur un écran de cinéma ou ailleurs. Le cinéma, en tant que discipline artistique, a cette force de toujours procurer des émotions. Encore faut-il aimer le film. Je sais d’avance que si je revois un jour – mais Dieu m’en garde – Les Tuche 1, à part un sentiment de malaise et un profond dédain, je ne pense pas vivre de nouvelles émotions.
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