Chapeau melon et grand écran : interview du journaliste spécialisé Alain Carrazé.
Je vous ai déjà parlé du cinéma Le Zola de Villeurbanne, à l'occasion de son festival du court-métrage ou de sa semaine hispanique. Vendredi dernier, l'établissement proposait une soirée Chapeau melon et bottes de cuir, dans le cadre du festival so british Ciné o'clock. Deux épisodes de la série mythique étaient projetés, agrémentés d'une intervention d'Alain Carrazé, journaliste spécialiste des séries TV. Alors je me suis fait un petit kif, comme disent les vieux qui veulent faire jeunes, en allant passer la soirée avec Emma, Tara et John. Leurs péripéties sont aussi trépidantes sur le grand écran que sur le petit. Qualité d'image en prime.
A l'issue de la séance, Alain Carrazé m'a accordé cinq minutes pour répondre à quelques questions. Attention à ce qu'on lui dit, l'homme est exigent. On ne peut pas se prétendre spécialiste des séries TV si on n'a pas vu Le Prisonnier ! Ce passionné est surtout très connaisseur de Chapeau melon et bottes de cuir ; il a d'ailleurs écrit un ouvrage sur la série. Lors de notre échange, Alain Carrazé m'a parlé de John, d'Emma et des autres, mais aussi des relations ténues entre cinéma et séries TV.
C'est la première fois que je vois des épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir sur grand écran. Je suis surpris, pour ne pas dire bluffé, par la qualité de l'image. On croirait cette série presque faite pour le cinéma. Comment l'expliquer ?
Alain Carrazé : « Le fait que vous disiez cela est insultant pour le domaine des séries TV. Une série TV n'est pas bonne quand elle est « presque faite » pour le cinéma. C'est aussi réducteur que si vous disiez « une BD est bien car c'est presqu'un roman ». Au-delà de cela, toutes les séries TV sont tournées sur des supports 35 mm et produites comme des films de cinéma. Il n'y a qu'en France où, pour des raisons d'économie, pendant des années, soit on n'y a pas prêté attention, soit on réalisait les séries dans un format dont la qualité d'image pas bonne. Les séries TV et le cinéma, c'est du pareil au même aujourd'hui. Qu'est-ce qui change ? La régularité, le scénario développé sur plusieurs épisodes et plusieurs saisons, la continuité des personnages, etc. Voilà la grosse différence qui fait qu'un film n'est pas une série TV et qu'une série TV n'est pas un film découpé en morceaux. Après, techniquement parlant, que ce soit Chapeau melon et bottes de cuir ou toutes les autres séries de l'époque, il suffit de ressortir les négatifs 35 mm et de les restaurer, tout comme on le ferait pour un film classique, pour avoir une qualité d'image comparable à ce qu'elle était au début. »
L'une des forces de Chapeau melon et bottes de cuir, c'est la qualité de ses acteurs. Des acteurs que l'on a vu également au cinéma...
Alain Carrazé : « Patrick McNee n'est pas connu comme un grand acteur de cinéma, il a été un peu phagocyté par son rôle dans la série. On l'a vu à droite à gauche, il a notamment fait un James Bond [ndlr Dangereusement vôtre], pas le meilleur d'ailleurs. Quant à Diana Rigg, elle s'est davantage tournée vers le théâtre. En revanche, c'est une constante, beaucoup de « Steed girls » sont devenues des « James Bond girls » comme quoi James Bond puisait dans Chapeau melon et bottes de cuir ou dans d'autres séries britanniques pour trouver ses personnages, et notamment ses héroïnes féminines. Honor Blackman était dans Goldfinger, Diana Rigg était dans le chef-d'œuvre Au service secret de sa majesté tout comme Johanna Lumley... Dans les industries du cinéma et de la télévision britanniques, tout le monde se côtoie et tout le monde se connaît. Déjà à cette époque, il n'y avait pas du tout de séparation cinéma/TV comme il y avait en France. Cette séparation n'existe plus beaucoup en France aujourd'hui mais elle n'a JAMAIS existé dans les pays anglo-saxons : on pouvait autant faire l'un que l'autre, à partir du moment où le projet était intéressant et pertinent.
Chapeau melon et bottes de cuir n'a connu qu'une seul adaptation cinéma (en 1998, réalisée par Jeremiah Chechik, avec Ralph Fiennes et Uma Thurman). Le résultat était décevant pour moi qui suis fan de la franchise. Est-ce une série inadaptable ?
Alain Carrazé : « Non, il n'y a pas de série inadaptable. A l'inverse, dire qu'une série TV doit obligatoirement être adaptée au grand écran, c'est une erreur artistique. Une série s'adapte au grand écran seulement pour des raisons commerciales. Plutôt que d'appeler le film « Un espion à Tombouctou », on l'appelle « Mission : Impossible » parce que le nom est une licence qui va plus drainer les gens vers les salles de cinéma. Chapeau melon et botte de cuir c'est le même genre de licence. Je considère qu'il n'y a pas de mauvaise adaptation ; il n'y a que des adaptations faites par des gens qui n'ont pas d'imagination et qui n'y mettent pas leur univers à eux. On ne fait pas une version long-métrage d'une série, on ne reprend pas les dialogues et les scénarios au mot près pour en faire un film, on adapte comme on peut adapter une BD ou un roman. Une adaptation est réussie quand le talent du réalisateur ou du scénariste est suffisamment riche pour créer autre chose. Par exemple, les premiers « Mission : Impossible » n'ont rien à voir avec la série et, pourtant, certains sont de sacrés bons films. C'est très éloigné de la série, et alors ? Moi je m'en fous, si je veux revoir la série, j'ai les épisodes à la maison, je n'attends pas le cinéma. »
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