J'ai rencontré Emmanuelle Béart
Une voix. Cette voix, si singulière. La voix grave d'une artiste torturée. J'arpente avec empressement les couloirs de la Maison de la Culture de Clermont-Fd, lorsque j'entends résonner la parole de la comédienne. C'est elle. Pas de doute. En haut de l'escalier, une femme vêtue d'un long manteau noir est en pleine discussion téléphonique. A mesure que je monte les marches, la silhouette se rapproche. Elle me tourne le dos. En un instant, je repense à Manon des Sources, Nelly et Monsieur Arnaud, L'enfer, 8 femmes, Les destinées sentimentales, Les égarés. Cette femme qui a monté les marches de Cannes, qui a embrassé Tom Cruise, qui a fait l'une des couvertures les plus célèbres de Elle est aujourd'hui devant moi. C'est elle que je suis venu interviewer.
La silhouette se retourne. "Bonjour" me lance-t-elle, tout en poursuivant son coup de fil. Pas le temps de m'attarder sur ce regard bleu et transperçant : le timing est serré, il faut rapidement installer la caméra et tester le micro, en prévision de l'entretien.
La comédienne nous rejoint. Disponible, elle s'installe sur le fauteuil que je lui indique. Soucieuse des détails, elle préfère que l'on filme son profil gauche. "Vous pouvez fermer la porte de la salle, s'il vous plaît ?" me demande-t-elle, "car je sens un courant d'air". Un brin diva, mais impossible de lui en vouloir. Sa voix est son outil de travail. Il est impératif qu'elle la garde, surtout que je vais la voir jouer ce soir et je ne supporterai pas qu'une doublure prenne sa place.
L'interview débute. Il y a longtemps que je n'avais pas écrit à l'avance mes questions sur un calepin. Je ne voulais pas risquer la moindre hésitation face à la star. Elle se met à parler de sa pièce. Une oeuvre exigeante intitulée "Par les villages", écrite par Peter Handke et mise en scène par Stanislas Nordey. La voilà partie dans ces longues phrases que les théâtreux adorent. Elle parle d'humanité, de résistance, d'exigence, d'humiliation, de liberté, de densité... et de clairière. Une interview culture dans toute sa splendeur et (parfois) son incompréhension. J'en profite pour lui demander la différence qu'elle fait entre théâtre et cinéma :
(Images : Stéphanie Delannes)
Parfois la comédienne s'arrête, hésite, réfléchit. Elle cherche le mot juste pour défendre ce texte qui semble l'habiter. Ses doigts, ornés d'un vernis à ongles rouge impeccablement posé, virevoltent au rythme de ses réponses. L'actrice est satisfaite de pouvoir s'épancher, de ne pas être pressée. "Moi je n'aime pas aller trop vite" nous avait-elle prévenus d'emblée. C'est avec plaisir que j'ai donc pris le temps de lui poser toutes les questions que j'avais préparées.
Arrive la fin de l'interview. Merci. Elle susurre un classieux "je vous en prie" que je me suis passé et repassé lors du montage, de retour au bureau. Nous nous serrons la main. J'en profite pour lui dire tout le bien que je pense de son travail, et surtout de sa filmographie. Sautet, Téchiné et les autres : "C'est vrai que ce sont des beaux films" me répond-elle humblement. J'ajoute que je suis très ému de la rencontrer. Elle rougit et baisse la tête. Comme si elle n'était pas habituée aux compliments, qu'elle doutait encore de son immense talent. Ce jour-là, j'ai rencontré Emmanuelle Béart.
D'autres extraits de cet entretien sont à voir sur le site www.lamontagne.fr (1) (2)
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